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Non-conformité des travaux réalisés par l’entrepreneur : le maître d’œuvre est responsable

Civil - Responsabilité
Affaires - Assurance
06/04/2020
L’architecte, maître d’œuvre, engage sa responsabilité s’il accepte la poursuite d’un chantier malgré l’absence de conformité des travaux réalisés par un entrepreneur.
 
En l’espèce, une société de construction immobilière, maître d’ouvrage, fait appel aux services d’une société d’architectes, maître d’œuvre, pour la construction d'un atelier d'agencement. Cette dernière charge un entrepreneur des travaux de terrassement, VRD (Voirie et Réseau Divers) et espaces verts en juillet 2012, alors même qu’il est placé en redressement judiciaire depuis un an.

Le maître d’ouvrage reproche à l’entrepreneur de ne pas avoir respecté les prescriptions du marché lors de la réalisation des travaux de terrassement et résilie ses contrats. L’entrepreneur est placé en liquidation judiciaire dans l’année qui suit. Le maître d’œuvre est également assigné en réparation des préjudices découlant de la non-conformité et des désordres apparus avant réception. La cour d’appel le déboute de ses demandes. Il se pourvoit alors en cassation.

L’unique moyen du pourvoi est subdivisé en cinq branches.

Selon les deux premières, le maître d’ouvrage invoque une stipulation contractuelle selon laquelle « l'architecte déconseille le choix d'une entreprise si elle lui parait ne pas présenter les garanties suffisantes ou ne pas justifier d'une assurance apte à couvrir ses risques professionnels ». Il est reproché aux juges d’appel d’écarter toute faute de l’architecte, le maître d’œuvre, alors même qu’il connaissait pertinemment la situation financière compromise de l’entrepreneur et s’est abstenu de son devoir de conseil envers le maître d’ouvrage. L’entrepreneur ne présentait donc pas les « garanties suffisantes » dès l’ouverture du chantier par manque de solidité financière. Ces arguments n’impressionnent point les Hauts magistrats.

En rappelant au maître d’ouvrage que l'alinéa 3 du même article dispose que « le maître de l'ouvrage s'assure de la bonne situation financière et juridique de l'entrepreneur susceptible d'être retenu pour réaliser tout ou partie des travaux », ils balayent d’un revers de main les arguments des deux premières branches du moyen pour constater « qu’il n'incombait pas à l'architecte de vérifier la solvabilité des entreprises qu'il choisissait ».

Les deux branches suivantes du moyen invoquent une autre stipulation contractuelle, la clause d'exclusion de solidarité. D’après le maître d’ouvrage, cette clause selon laquelle « l'architecte ne peut être tenu responsable de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d'ouvrage ou des autres intervenants dans l'opération faisant l'objet du présent contrat » ne peut être interprétée de telle sorte que la responsabilité du maître d’œuvre à l'égard du maître d’ouvrage soit retenue à la hauteur de 50 % seulement. En effet, selon ce dernier, la clause précitée « ne fait pas obstacle à sa condamnation à indemniser l'intégralité du préjudice subi par le maître de l'ouvrage in solidum avec les autres intervenants, dès lors qu'il a contribué, par ses propres fautes, à la réalisation de l'entier dommage ». En outre, les juges d’appel auraient dû rechercher si cette clause limitative de responsabilité, « n'était pas susceptible de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et si elle ne devait pas en conséquence être réputée non écrite » à l’égard du maître d’ouvrage.

La Cour de cassation constate, de manière pédagogue, que le demandeur au pourvoi n’a pas soutenu devant les juges du fond que la clause en question était abusive et que c’est à bon droit que la cour d’appel a pu décider « qu’en application de cette clause, la responsabilité de l'architecte était limitée aux seuls dommages qui étaient la conséquence directe de ses fautes personnelles, en proportion de sa part de responsabilité ».

Enfin, par la cinquième branche du moyen, le maître d’ouvrage fait grief à l'arrêt de rejeter la condamnation du maître d’œuvre et de la Mutuelle des architectes français (MAF), son assureur, au titre de l'indemnité d'interruption du contrat (sa résiliation). Sa responsabilité, selon lui, est acquise dès lors que « chargée d'une mission de maîtrise d'œuvre complète, tout en constatant que cette dernière [la société maître d’œuvre] n'avait pas décelé la non-conformité des matériaux que [la société entrepreneure] employait non plus que les malfaçons affectant les travaux de terrassement (…) ».

Au visa de l’article 1147, ancien, du Code civil (dont le contenu a été conservé à l’article 1231-1 en vigueur), les Haut magistrats censurent la décision des juges d’appel et donnent de facto raison au maître d’ouvrage sur ce point.
Ils constatent que « pour rejeter la demande du maître d’ouvrage au titre de l'indemnité contractuelle d'interruption du contrat, l'arrêt retient que la résiliation du contrat par le maître de l'ouvrage n'est pas imputable au maître d’œuvre. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le maître d’œuvre avait accepté la poursuite du chantier malgré l'absence de conformité des travaux réalisés, laquelle avait motivé la résiliation du marché par le maître d’ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».

En d’autres termes, un maître d’œuvre, qui décide de poursuivre le chantier alors même qu’il constate l’absence de conformité des travaux réalisés, est responsable devant le maître d’ouvrage au titre de l’interruption du contrat.

Le contrat d'architecte a une importance capitale en ce qu’il précise l'étendue de la mission confiée par le maître d’ouvrage. Assez souvent, c’est précisément cette étendue de la mission qui est discutée devant les tribunaux en vue d’établir ou non la responsabilité du maître d’œuvre. L’appréciation qui détermine l'étendue de la mission est laissée aux juges du fond (Cass. 3e civ., 23 sept. 2014, n° 13-19.331). Afin d’appuyer son argumentation, le maître d’ouvrage rappelle que le maître d’œuvre avait une mission large – maitrise d’œuvre complète. Cela notamment pour induire que ce dernier « à un devoir de conseil envers le maître de l'ouvrage quant au choix des entreprises qu'il choisit, lui imposant de vérifier si lesdites entreprises présentent les garanties suffisantes à savoir leur compétence et leur solidité financière ».

Pour rejeter les deux premières branches du moyen, la Cour ne va pas plus loin que la lecture stricte du contrat d’architecte – la rédaction de l’alinéa 3 étant claire, c’est sans dénaturation que les juges du fond ont écarté la responsabilité du maître d’œuvre. Ainsi, qu’importe l’étendue de la mission confiée, l’édifice de la force obligatoire du contrat contenu à l’article 1103 du Code civil fait obstacle à toute autre interprétation.

S’agissant des deuxième et troisième branches du moyen, les Haut magistrats indiquent le chemin à suivre au demandeur qui souhaite faire échec à une clause limitative de responsabilité : clause d’exclusion de solidarité, en l’espèce. Il doit être d’abord démontrée la nature abusive de cette clause d’une part. Ensuite, la Cour constate que cette clause litigieuse prévoit que « l'architecte ne peut être tenu responsable de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d'ouvrage ou des autres intervenants dans l'opération faisant l'objet du présent contrat ». Y compris l’entrepreneur donc.

Enfin, et c’est le cœur de l’arrêt, les juges du Quai de l’Horloge, au visa de l’article 1147 du Code civil, et rappelant solennellement son contenu, mettent à charge de l’architecte, qui avait accepté la poursuite du chantier malgré l'absence de conformité des travaux réalisés, la responsabilité des désordres survenus. La solution mérite d’être approuvée et d’autant plus si le maître d’œuvre est chargé d’une mission de maitrise d’œuvre complète. Pourtant l’arrêt ne le précise pas.

En tout état de cause, la précision apportée par la Cour est importante pour le maître d’œuvre ainsi que pour son assureur qui, en cours de chantier, constate la non-conformité des travaux réalisés par l’entrepreneur.
Source : Actualités du droit