Retour aux articles

Le bloc est-il opérant pour informer le patient ?

Public - Santé
Civil - Responsabilité
16/10/2019
Peut-on attendre d’être au bloc opératoire pour annoncer à un patient un changement de technique opératoire ou cela revient-il, sauf urgence, à nier les droits du patient ? Telle a été la problématique tranchée par le tribunal administratif de Melun par un jugement du 20 septembre 2019.
Note de Maître Éric Landot, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit public.


 
L’essentiel : Le juge administratif estime qu’en annonçant un changement de technique opératoire alors que le patient est déjà au bloc opératoire, un médecin public méconnaît, sauf urgence, son obligation d’informer son patient et de recueillir son consentement éclairé.



 

I.Rappels sur l’exigence de qualité de l’information délivrée avant l’opération

 
Avant l’opération, l’information doit être claire, loyale et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés, même exceptionnels, et ce sur la base d’un échange individuel, sauf urgence ou impossibilité.
 

L’article L. 1111-2 du Code de la santé publique ne se borne pas poser le principe du droit à toute personne d'être informée sur son état de santé. Cette information doit être détaillée, puisqu’elle porte sur « les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». Cette information « incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser ». Et encore faut-il que cette information soit « délivrée au cours d'un entretien individuel ».
Ce texte, complété par les articles L. 1111-4 et R. 4127-35 et suivants du Code de la santé publique, s’inscrit dans un corpus plus large, comprenant, notamment :  
Mais l’information sur l’acte médical à entreprendre s’avère plus ancienne encore (Cass. civ., 28 janv. 1942, D. 1942, jur. p. 63). Surtout, depuis 2000, juges judiciaire et administratif recourent exactement aux mêmes formulations :

« Hormis les cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, son médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés, et il n'est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu'exceptionnellement » (Cass. 1re civ., 14 oct1997 n° 95-19.609, Bull. civ. I, n° 278 ; CE, ass., 5 janv. 2000, n° 181899).

Plus encore, la charge de la preuve incombe au praticien de santé au terme des mêmes formulations de principe, communes aux deux ordres de juridiction :

« Il appartient à celui qui est contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information de rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ».

 
Les seules exceptions à cette règle de transparence portent :
  • sur les cas de dissimulation légale d’un diagnostic ou d’un pronostic grave ou fatal dans le cadre - peu sécurisé car réglementaire, au regard de normes supérieures au moins législatives - prévu par l'article R. 4127-35 du Code de la santé publique ;
  • sur les hypothèses où de toute manière l'état de santé de l'intéressé nécessite une intervention de manière vitale, alors qu’aucune alternative moins risquée n’existe (voir par exemple CE, 15 janv. 2001, n° 184386 ; CE, 17 déc. 2004, n° 260140), même si l’on pouvait présumer une absence de consentement (prise de sang sur un témoin de Jéhovah : CE, ass., 26 oct. 2001, n° 198546).
 
Une jurisprudence abondante s’est donc développée sur les risques à évoquer, avec une grande sévérité des deux ordres de juridiction qui finissent par imposer un niveau d’information élevé (voir par exemple CE, 8 févr. 2018, n° 404190 ; CE, 19 oct. 2016, n° 391538 ; Cass. 1re civ., 13 nov. 2014, n° 13-22.702). Et, ce, y compris dans le cadre d’un procès pénal pour homicides ou blessures involontaires (Cass. crim., 16 mai 2006, n° 05-86.771). Naturellement, le juge opère un tri entre les informations omises et celles susceptibles d’entraîner un préjudice indemnisable (voir par exemple CE, 19 mars 2010, n° 310421 ; comp. Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13.591, Bull. civ. I, n° 128).
 
 

II.Quelle qualité de l’information délivrée au bloc opératoire ?

 
L’information du patient doit permettre un consentement éclairé, à l’aune également de l’état et des capacités du patient… ce qu’un bloc opératoire ne permet pas, selon le TA de Melun. Position qui n’est pas partagée par toutes les juridictions, des différences résultant surtout de l’appréciation de l’urgence et sur l’appréciation au cas par cas de la possibilité ou non de reporter l’opération.


La jurisprudence s’est engouffrée dans la liste des risques, pathologie par pathologie, considérés comme graves et devant être explicités nonobstant leur caractère exceptionnels. Mais une telle explication peut-elle être jargonneuse ? Peut-on estimer qu’il y a consentement sans compréhension pour des raisons de maîtrise de la langue ou en raison de l’état, par exemple nerveux, du patient ? Une réponse négative s’impose à ces questions. Cela dit, la plupart des jurisprudences sur ce point portent sur des dates antérieures aux arrêts de référence, précités, de 1997 et de 2000, ce qui rend parfois un peu approximative leur utilisation pour présumer de la position d’un juge au cas par cas. C’est dans ce cadre que le tribunal administratif (TA) de Melun a eu à connaître d’une affaire particulière, mais qui correspond à des pratiques qui ne sont pas si rares, et dont on peut comprendre les ressorts médicaux.
Un chirurgien informe son patient d’un mode opératoire à venir pour une chirurgie via une technique non invasive. Ce patient, qui jusqu’alors avait refusé́ toute chirurgie ouverte, consent à la technique opératoire non invasive proposée. Mais sur la base de nouvelles études, le chirurgien décide finalement, au bloc opératoire et avant induction anesthésique, d’opérer par voie sanglante et de pratiquer une cervicotomie. Il semble que le patient en ait été informé (et qu’il ait donné son accord ?) à son arrivée au bloc et sans que les avantages et inconvénients de cette technique aient pu lui être exposés dans de bonnes conditions. Le patient passe à cette occasion de vie à trépas.
 
Le TA de Melun a censuré cette pratique et indemnisé les ayants droits du patient décédé. Était-ce là un cas où « de toute manière l'état de santé de l'intéressé nécessite une intervention de manière vitale alors qu’aucune alternative moins risquée n’existe » (voir supra) ? À cette question, le TA de Melun répond par la négative, avec une sévérité alimentée par les volontés claires du patient au fil de sa maladie :

« Il résulte du rapport d’expertise et de l’instruction qu’il n’existait aucune urgence, ni nécessité impérieuse faisant obstacle à ce que l’opération soit reportée pour permettre une information précise sur la technique opératoire et les risques encourus et ainsi de recueillir le consentement éclairé de M. M ».

 
Concrètement - mais ce point n’est pas nouveau -, même si c’est malcommode, sauf réelle urgence, mieux vaut un report d’opération qu’un consentement mal arraché. Le TA de Melun en déduit, non sans jouer au pronosticien, qu’ainsi :

« Les circonstances dans lesquelles l’information a été délivrée ne sont pas appropriées et n’ont pas permis au patient de donner un consentement libre, éclairé́ et serein à cette intervention qu’il aurait certainement refusée ».

 
Cela dit, faut-il qu’il puisse y avoir report. Par exemple, pour citer un exemple en droit civil, un consentement lors d’un accouchement (difficile à reporter) peut être libre et consenti, tout en étant donné en cours d’accouchement, surtout si la douleur est atténuée par la péridurale et si la patiente n’était pas, pas encore, sous valium (voir CA Montpellier, 25 nov. 2009, n° 09/00044 ; sur cette affaire en cassation, voir ensuite Cass. 1re civ., 22 mars 2012, n° 10-27.102).
Mais le juge civil a déjà, sur le principe, estimé qu’un accord vaguement arraché en bloc opératoire sur un changement de pratique thérapeutique ne répondait pas aux exigences du Code de la santé publique (pour un cas clair, mais avec un petit préjudice faute de lien de cause à effet entre le manque d’information et de consentement et le préjudice allégué, voir CA Nancy, 7 avr. 2015, n° 13/03262).
Le juge disciplinaire est au même diapason : un changement de technique opératoire ne peut être consenti par une patiente en l’absence de toute urgence, alors qu’elle était déjà au bloc opératoire en ayant déjà subi deux prises de Xanax 0,5 g (Conseil national de l'Ordre des médecins, chambre disciplinaire nationale, 30 nov. 2016, n° 12850).

 
Il résulte de cette jurisprudence, au prix d’une schématisation outrancière, une maxime simple et opérationnelle :
- Au bloc opératoire, nul consentement au patient tu n’arracheras ;
Sauf, et en urgence, si tel est l’unique moyen d’éviter le trépas.

 https://blog.landot-avocats.net ; https://landotsanitairesocial.wordpress.com
Source : Actualités du droit